3.3.13

Démarches d'écriture - La situation du projet dans mon cheminement


*Note de l'auteur : ces réflexions datent de 2006, alors soyez indulgents avec ma naïveté de jeune auteur qui veut en mettre devant son prof de séminaire en création.

Dans ma démarche d’auteur
J’ai longtemps pensé que la seule chose encore capable de toucher le lecteur était la violence à l’état pur. Le Contrat, mon premier livre, n’est qu’une suite de meurtres sanglants et bien décrits (c'était mon opinion à l'époque) encadrés par une narration cynique et amère. Par contre, sans lumière pas d’ombre, je croyais que la puissance de ces descriptions n’arrivait pas à toucher le lecteur autant que je le souhaitais parce qu’il n’y avait pas vraiment d’émotion pour donner le contrepoids des meurtres. 

Dans 24 heures, mon second livre, j’ai justement tenté d’approcher l’intimité des personnages, de connaître et d’écrire leurs émotions et leurs sentiments plutôt que simplement décrire leurs pensées et actions. Malgré tout, ce recueil n’était composé que de nouvelles réalistes et ma fibre « science-fiction » vibrait à nouveau. C’était un défi, car les auteurs de science-fiction perdent généralement les sentiments de leurs personnages en décrivant leur monde fictif à tort et à travers. J’ai donc voulu créer un univers parallèle et anticiper une technologie relative au froid tout en conservant des personnages émotionnellement crédibles et cohérents au monde dans lequel ils vivent. C’est un défi que j’espère avoir relevé. Du même coup, les rares scènes macabres n’en sont que mieux senties et se démarquent bien plus que dans mon premier récit.

Les constantes de mon travail d’écriture
Dans mon écriture, on retrouve souvent le thème de la synchronicité. Je ne saurais pas dire si cela dénote une obsession ou une fascination envers le lieu commun voulant que le monde soit petit, mais c’est un thème récurrent dans mes textes. Voici un exemple intéressant : Amélie Bibeau (aujourd'hui auteure de Lili-la-Lune) me disait qu’elle était déçue de ne pas avoir lu tout le monde dans le groupe de lecture où nous avions présenté nos textes et moi, qui était surchargé à ce moment, je lui ai malgré tout proposé d’échanger nos textes pour se les commenter. Je fus surpris par deux choses : Amélie a perdu sa sœur voilà quatre ans et, à ce moment, on lui avait fait comprendre qu’elle devait être forte pour supporter sa famille (j’ai vécu la même chose quand mon père est mort). Plus tard, en fouillant la bibliothèque d'Amélie, j'ai vu qu'elle possédait mon récit Le Contrat. Bizarre comment les choses nous lient.

Les gens que l’on trouve sur notre route n’y sont pas pour rien. J’en suis la preuve, comme tous ceux qui affirment : si je n’avais pas rencontré untel, jamais je n’aurais… Inutile de préciser que, bien évidemment, Camille Deslauriers (La Femme-Boa et Eaux troubles) aura influencé de façon permanente ma manière d’approcher l’écriture ainsi que mon style. Reste donc que je ne suis pas sûr si je suis simplement fasciné par la synchronicité ou si j’en suis obsédé.

Mes influences
Ironiquement, je n’avais pas lu beaucoup de science-fiction récemment, sinon le recueil de Louis-Philippe Hébert qui, peut-être inconsciemment, m’aurait insufflé l’idée du subterfuge. Dans La manufacture de machines, il utilise ce thème pour montrer comment la législation trompe les villageois, tandis que, dans mon recueil, j’exploite ce thème pour montrer comment les personnages ne savent pas – ou ne veulent pas – être eux-mêmes.

À la fin du mois d’août 2006, j’ai lu avec beaucoup de plaisir Do Androids Dream of Electric Sheep ? de Philip K. Dick. Ce roman m’a probablement inspiré le doute auquel je soumets le lecteur quant aux circonstances de la destruction des portes de l’Aquilon, à l’existence de la locataire inconnue ainsi qu’aux aptitudes fantastiques – au sens où l’entend Todorov – de l’agoraphobe (voir la nouvelle inédite) et de la petite Summer. Dick travaille beaucoup la notion du simulacre et de la difficile dichotomie entre la réalité (parfois onirique) et le rêve (souvent réaliste).

L’omniprésence du kitsch dans mon recueil ne peut s’expliquer que par le goût que j’entretiens moi-même avec cet art de consommation. En fouillant chez quelqu’un, on trouve forcément un objet kitsch, une figure ternie du passé ou d’un faux futur que le propriétaire ne jette jamais sans pour autant l’exhiber sur la table à dîner. Des grenouilles ou des poissons dans la salle de bain, un film de Walt Disney, un bibelot de chat ou une paire de pantoufles en phentex sont autant d’éléments qu’on retrouve dans toutes les demeures. Je suppose que c’est également dans l’espoir de rendre les personnages plus humains que je les ai dotés d’objets kitschs.

Un dernier élément, plus lointain, qui m’a clairement influencé pour l’écriture de ce recueil, c’est la crise du verglas de 1998. Je n’avais tout simplement pas réfléchi à son importance dans mon écriture, mais je l'ai comprise quand est venu le temps de réfléchir à mon écriture. Quand le verglas a frappé, je vivais à Drummondville et, heureusement, nous chauffions au bois. Je n’aurais donc jamais gelé si j’avais suivi les idées conformistes de certaines personnes. Mais j’étais ce que je suis encore et je ne voulais pas m’enfermer alors qu’à l’extérieur le monde était bouleversé. 

Je me suis donc engagé comme bénévole dans un centre communautaire d’aide aux sinistrés aménagé dans un centre récréatif. L’électricité était alimentée par de gigantesques génératrices au diesel, les gens pouvaient prendre une douche froide (on l’aurait voulu tiède, mais peine perdue), manger des repas préparés par des bénévoles qui se limitaient à une mixture louche de patates en poudre, de viandes déshydratées et de café jaune à force d’être dilué. Pendant deux semaines et demie, j’ai fréquenté six cents personnes plus intéressantes les unes que les autres desquelles j’ai appris beaucoup plus que si j’étais allé à l’école. C’est également là que, pour la première et dernière fois, j’ai bu du café – j’étais surveillant de nuit entre dix heures et sept heures, je déjeunais et je me couchais jusqu’au dîner. Je pourrais écrire encore quelques pages à ce sujet, mais je crois que l’influence du verglas sur mon recueil est amplement illustrée ainsi.

Mon rapport à l’écriture
Je pense que je vis mon écriture à la manière de mon existence. J’accorde, malgré une attitude désinvolte, une très grande importance à l’écriture comme à la vie. Un respect, aussi. Je vis un jour à la fois comme j’écris chaque fois que j’en ressens le besoin, même si je risque de perdre un contrat. Pas au point de démolir un couple, par contre. À ce sujet, Bernard Werber écrit de huit heures à midi chaque jour depuis qu’il a seize ans. C’est une règle qu’il s’est imposée et qu’il a toujours fait ajouter dans les contrats qu’il a signés. Quand il a rencontré sa femme, cette loi faisait partie intégrante de leur contrat de mariage. Ce que je veux dire, c’est qu’un conjoint compréhensif est aussi important que le talent quand on veut écrire. Quelquefois, j’intériorise trop mon écriture et il devient impossible d’avoir une discussion cohérente avec moi. D’autres fois, je peux parler pendant deux heures de l’idée d’une ombre d’un projet. Si ma blonde n’était pas aussi compréhensive, jamais elle ne m’aurait toléré.

Comme dans mon écriture, je constate de temps à temps que j’ai pris de la maturité sur tel ou tel point, que je m’améliore mais qu’il me reste encore des tonnes de choses à apprendre pour être une meilleure personne et un meilleur auteur. Les gens qui m’entourent prennent souvent le temps de le souligner eux-mêmes, à ma grande joie. Pour résumer mon rapport à l’écriture en une phrase, je dirais qu’une dépendance indéniable lie ma vie à l’écriture.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire