*Note de l'auteur : ces réflexions datent de 2006, alors soyez indulgents avec ma naïveté de jeune auteur qui veut en mettre devant son prof de séminaire en création.
Dans
ma démarche d’auteur
J’ai
longtemps pensé que la seule chose encore capable de toucher le lecteur était
la violence à l’état pur. Le Contrat, mon premier livre,
n’est qu’une suite de meurtres sanglants et bien décrits (c'était mon opinion à l'époque) encadrés par une narration cynique et amère. Par contre, sans
lumière pas d’ombre, je croyais que la puissance de ces descriptions n’arrivait
pas à toucher le lecteur autant que je le souhaitais parce qu’il n’y avait pas
vraiment d’émotion pour donner le contrepoids des meurtres.
Dans 24 heures, mon second livre, j’ai justement tenté
d’approcher l’intimité des personnages, de connaître et d’écrire leurs émotions
et leurs sentiments plutôt que simplement décrire leurs pensées et actions.
Malgré tout, ce recueil n’était composé que de nouvelles réalistes et ma fibre « science-fiction » vibrait à nouveau.
C’était un défi, car les auteurs de science-fiction perdent généralement les
sentiments de leurs personnages en décrivant leur monde fictif à tort et à
travers. J’ai donc voulu créer un univers parallèle et anticiper une
technologie relative au froid tout en conservant des personnages
émotionnellement crédibles et cohérents au monde dans lequel ils vivent. C’est
un défi que j’espère avoir relevé. Du même coup, les rares scènes macabres n’en
sont que mieux senties et se démarquent bien plus que dans mon premier récit.
Les
constantes de mon travail d’écriture
Dans
mon écriture, on retrouve souvent le thème de la synchronicité. Je ne saurais
pas dire si cela dénote une obsession ou une fascination envers le lieu commun
voulant que le monde soit petit, mais c’est un thème récurrent dans mes textes.
Voici un exemple intéressant :
Amélie Bibeau (aujourd'hui auteure de Lili-la-Lune) me disait qu’elle était déçue de ne pas avoir lu tout le monde
dans le groupe de lecture où nous avions présenté nos textes et moi, qui était surchargé à ce moment, je lui ai malgré tout
proposé d’échanger nos textes pour se les commenter. Je fus surpris par deux
choses : Amélie a perdu sa sœur voilà quatre ans et, à ce moment, on lui
avait fait comprendre qu’elle devait être forte pour supporter sa famille (j’ai
vécu la même chose quand mon père est mort). Plus tard, en fouillant la bibliothèque d'Amélie, j'ai vu qu'elle possédait
mon récit Le Contrat. Bizarre comment les choses nous lient.
Les gens que
l’on trouve sur notre route n’y sont pas pour rien. J’en suis la preuve, comme
tous ceux qui affirment : si je
n’avais pas rencontré untel, jamais je n’aurais… Inutile de préciser que,
bien évidemment, Camille Deslauriers (La Femme-Boa et Eaux troubles) aura influencé de façon permanente ma
manière d’approcher l’écriture ainsi que mon style. Reste
donc que je ne suis pas sûr si je suis simplement fasciné par la synchronicité ou
si j’en suis obsédé.
Mes
influences
Ironiquement,
je n’avais pas lu beaucoup de science-fiction récemment, sinon le
recueil de Louis-Philippe Hébert qui, peut-être inconsciemment, m’aurait
insufflé l’idée du subterfuge. Dans La
manufacture de machines, il utilise ce thème pour montrer comment la
législation trompe les villageois, tandis que, dans mon recueil, j’exploite ce
thème pour montrer comment les personnages ne savent pas – ou ne veulent pas –
être eux-mêmes.
À la fin du mois d’août 2006,
j’ai lu avec beaucoup de plaisir Do
Androids Dream of Electric Sheep ? de Philip K. Dick. Ce roman m’a probablement inspiré le doute auquel je soumets
le lecteur quant aux circonstances de la destruction des portes de l’Aquilon, à l’existence de la locataire
inconnue ainsi qu’aux aptitudes fantastiques – au sens où l’entend Todorov – de
l’agoraphobe (voir la nouvelle inédite) et de la petite Summer. Dick travaille beaucoup la notion du
simulacre et de la difficile dichotomie entre la réalité (parfois onirique) et
le rêve (souvent réaliste).
L’omniprésence du kitsch
dans mon recueil ne peut s’expliquer que par le goût que j’entretiens moi-même
avec cet art de consommation. En fouillant chez quelqu’un, on trouve forcément
un objet kitsch, une figure ternie du passé ou d’un faux futur que le
propriétaire ne jette jamais sans pour autant l’exhiber sur la table à dîner.
Des grenouilles ou des poissons dans la salle de bain, un film de Walt Disney, un
bibelot de chat ou une paire de pantoufles en phentex sont autant d’éléments
qu’on retrouve dans toutes les demeures. Je suppose que c’est également dans
l’espoir de rendre les personnages plus humains que je les ai dotés d’objets kitschs.
Un dernier élément, plus
lointain, qui m’a clairement influencé pour l’écriture de ce recueil, c’est la
crise du verglas de 1998. Je n’avais tout simplement pas réfléchi à son
importance dans mon écriture, mais je l'ai comprise quand est venu le temps de réfléchir à mon écriture. Quand le
verglas a frappé, je vivais à Drummondville et,
heureusement, nous chauffions au bois. Je n’aurais donc jamais gelé si j’avais
suivi les idées conformistes de certaines personnes. Mais j’étais ce que je
suis encore et je ne voulais pas m’enfermer alors qu’à l’extérieur le monde
était bouleversé.
Je me suis donc engagé comme bénévole dans un centre
communautaire d’aide aux sinistrés aménagé dans un centre récréatif.
L’électricité était alimentée par de gigantesques génératrices au diesel, les
gens pouvaient prendre une douche froide (on l’aurait voulu tiède, mais peine
perdue), manger des repas préparés par des bénévoles qui se limitaient à une
mixture louche de patates en poudre, de viandes déshydratées et de café jaune à
force d’être dilué. Pendant deux semaines et demie, j’ai fréquenté six cents
personnes plus intéressantes les unes que les autres desquelles j’ai appris
beaucoup plus que si j’étais allé à l’école. C’est également là que, pour la
première et dernière fois, j’ai bu du café – j’étais surveillant de nuit entre
dix heures et sept heures, je déjeunais et je me couchais jusqu’au dîner. Je
pourrais écrire encore quelques pages à ce sujet, mais je crois que l’influence
du verglas sur mon recueil est amplement illustrée ainsi.
Mon
rapport à l’écriture
Je
pense que je vis mon écriture à la manière de mon existence. J’accorde, malgré
une attitude désinvolte, une très grande importance à l’écriture comme à la
vie. Un respect, aussi. Je vis un jour à la fois comme j’écris chaque fois que
j’en ressens le besoin, même si je risque de perdre un contrat. Pas au point de démolir un couple, par contre. À ce sujet, Bernard
Werber écrit de huit heures à midi chaque jour depuis qu’il a seize ans. C’est
une règle qu’il s’est imposée et qu’il a toujours fait ajouter dans les
contrats qu’il a signés. Quand il a rencontré sa femme, cette loi faisait
partie intégrante de leur contrat de mariage. Ce que je veux dire, c’est qu’un
conjoint compréhensif est aussi important que le talent quand on veut écrire. Quelquefois,
j’intériorise trop mon écriture et il devient impossible d’avoir une discussion
cohérente avec moi. D’autres fois, je peux parler pendant deux heures de l’idée
d’une ombre d’un projet. Si ma blonde n’était pas aussi compréhensive, jamais
elle ne m’aurait toléré.
Comme dans mon écriture,
je constate de temps à temps que j’ai pris de la maturité sur tel ou tel point, que
je m’améliore mais qu’il me reste encore des tonnes de choses à apprendre pour
être une meilleure personne et un meilleur auteur. Les gens qui m’entourent
prennent souvent le temps de le souligner eux-mêmes, à ma grande joie. Pour
résumer mon rapport à l’écriture en une phrase, je dirais qu’une dépendance
indéniable lie ma vie à l’écriture.